Crédit photo : François Moreau

Entretien avec Madame Thérèse Lebrun, Président-Recteur délégué Santé/Social de l’Université catholique de Lille. Elle nous partage son point de vue sur cette année écoulée, en temps de crise sanitaire, au sein des établissements de santé de l’Université catholique de Lille.

Thérèse Lebrun, Président récteur délégué Santé/Social de l'Université catholique de Lille

Quel regard portez-vous sur cette année de crise vécue par les hôpitaux de la Catho ? Qu’a-t-elle révélé ?

La première chose, c’est qu’il a très vite fallu se mettre en ordre de marche voire en ordre de bataille lorsque la crise est survenue.

Quoi qu’on dise, nous n’avions jamais fait face à une telle pandémie, on ne connaissait alors ni son ampleur ni sa dangerosité ; comme l’avait dit Emmanuel Macron : « c’était la guerre ». Pour preuve, on utilisait des termes de bataille : on « armait » les lits. Face à un tel virus, il a fallu apprendre à gérer, à se protéger et faire face à la pénurie de matériels dont nous avions besoin, que ce soit des charlottes, masques, surblouses, matériels que nous recherchions désespérément et partout.

L’ensemble des équipes de nos hôpitaux, les directions, les services supports et les corps soignants (médecins, infirmiers, aides-soignants) ont fait face pour continuer à soigner les gens qui en avaient besoin. Ils ont su mettre à disposition le plus de lits possibles, que soit pour accueillir des patients « COVID » ou pour les réanimer. A l’époque, nous n’avions pas de médicaments spécifiques et on intubait fréquemment. Avec le temps, nous avons amélioré les prises en charges ainsi que les gestes prodigués par le biais de « la recherche-action », au sein même des hôpitaux puisqu’au fil du temps, une expérience était acquise.

L’apprentissage sur le terrain est une pratique ancrée dans les connaissances fondamentales des métiers de la santé, mais au cœur de cette crise sanitaire, tout le monde s’y est mis. Les CHU étaient complètement mobilisés et nous-mêmes, hospitalo-universitaires, avons rempli notre rôle dans les situations médicales alors critiques. Nous avons dû apprendre en pleine situation de crise et agir sur tous les fronts :  former et reformer aux gestes médicaux, mobiliser les ressources humaines avec des règles du jeu encore floues, et qui changeaient vite puisque personne ne connaissait alors ce qui nous arrivait vraiment.

 

Aujourd’hui, en fin de période de « confinement n° 3 », et de ce qui semble être le pic de cette troisième vague, quelles sont les réalités du « terrain » en termes de fréquentation, de gestion de l’accueil des patients et de la mobilisation des équipes soignantes ?

A la sortie du premier confinement, il y a eu ce grand débat : fallait-il « désarmer » les lits d’hôpitaux et combien ? Les médecins savaient très bien que le risque ne s’était pas éloigné et qu’il ne fallait pas baisser la garde. Il était également question d’accueillir nombre de personnes dont les venues avaient été déprogrammées pour faire face aux pics de contamination dont nous avons été témoins.

Aujourd’hui, ce que j’observe, c’est que nous sommes, en effet, en fin de « troisième vague ». Cependant nous ne sommes toujours pas sortis de cette crise sanitaire. L’enjeu est de continuer à soigner correctement la population et suivre les personnes qui ne venaient pas par crainte d’encombrer les hôpitaux, ou bien, apeurées à l’idée d’y entrer.

Les services de réanimation sont encore remplis par des patients atteints des variants mais aussi des patients plus jeunes qu’avant. Cela est aussi lié aux progrès qui ont été faits au sein des EHPAD pour lesquels nous pouvons également tirer un coup de chapeau. Ils se sont adaptés, ont progressé et savent mieux faire face au virus. Désormais, ils peuvent rapidement confiner un groupe de résidents, qui serait marqué par le virus. Ils peuvent aussi mieux appréhender les soins apportés aux personnes âgées vaccinées, asymptomatiques, et à nouveau contaminées. Ces dernières ne sont généralement pas gravement atteintes et cela évite l’encombrement des services d’urgence et de réanimations, et explique la présence des plus jeunes, aujourd’hui, dans ces services.

 

Il y a quelques mois, le personnel soignant était très stressé, très inquiet de véhiculer la maladie, soit de la ramener dans les établissements de santé et inversement de la ramener chez soi. Est-ce qu’aujourd’hui, on constate un apaisement ?

Oui, la situation s’est apaisée parce que d’abord, nous avons maintenant le matériel suffisant pour se protéger, et deuxièmement, la vaccination fait son chemin.

Aussi, une meilleure connaissance du virus, malgré les variants qui nous arrivent, nous permet de mieux gérer la situation. Ainsi l’angoisse énorme de contaminer les siens ou ceux que l’on allait soigner est beaucoup plus limitée.

Aujourd’hui, on travaille plus calmement avec davantage de méthodes. Alors que dans l’urgence, on doit faire « au mieux ». On peut critiquer la métaphore de la guerre mais sur un champ de bataille, on essaie de sauver ceux qui peuvent encore l’être. Pour les autres patients, on adapte les gestes le plus possible pour faire le moins mal possible. Maintenant, nous avons acquis, aux détours des différentes phases, de réelles habitudes de prise en charge de malades atteints du virus.

Toutefois, à ce stade, nous observons aussi lassitude et fatigue, réinterrogation de certains sur les missions et métiers, attente des transformations et décisions à venir.

 

Depuis plus de 12 mois maintenant, cette crise a-t-elle transformé l’organisation de la vie des hôpitaux ? la vie des soignants ?

Cette situation était inconnue et nous avons dû inventer. Maintenant nous la connaissons mieux et nous avons acquis une expérience que nous n’oublierons pas pour la suite. De même pour nos structures qui sont faites d’hommes et de femmes et qui tirent des conclusions de cette crise. Ces conséquences sont illustrées dans la revue de presse HOSPIMEDIA qui nous donne tous les jours des exemples. Tant sur le plan organisationnel, que sur les nouvelles modalités d’accueil et de soins, de prise en charge, en EHPAD, comme en hôpital, auprès des personnes handicapées, etc.  Voir même des modalités architecturales qui vont amener à réviser ce qui se passe dans nos établissements. Nous en tirons énormément d’enseignements.

Quoiqu’il en soit, cette expérience fait émerger beaucoup de projets de recherche mais aussi des projets de travail en équipe interprofessionnelle. Devant une telle pandémie, l’interprofessionnalité joue pleinement son rôle : chacun à sa place, tout à sa place. Pour preuve, et en complément de l’expertise des soignants, une plus forte implication de la logistique, de la gestion des flux et de la conception architecturale d’un hôpital contribue à bâtir des schémas directeurs nouveaux. Je pense notamment à nos hôpitaux Saint Vincent de Paul (à Lille) et Saint Philibert (à Lomme), tous deux en cours de déploiement immobilier et dont les enseignements de la crise réécrivent certains plans de leur transformation.

 

Dans cette crise, en quoi les établissements de santé de la Catho se distinguent-ils ?

Pour les hôpitaux ou les EHPAD, je dirais qu’une direction solide et respectée a permis de faire face à cette crise, ainsi qu’une bonne entente entre les services supports et les services des soins. Il a fallu apprendre un langage commun face à la pandémie, ce n’est pas la perfection « tout terrain » mais, bien des équipes qui s’entraident et se mettent au service des patients. Entre ces corps soignants et aidants, c’est un corps, corps de nos hôpitaux, de nos EHPAD, qui a travaillé ensemble.

Au sein des hôpitaux, c’est aussi le service de recherche qui est à souligner. Nous avons développé de très nombreuses recherches. Des centaines de patients ont été inclus en « live » dans des essais avec, bien sûr, leurs consentements. Nous avons beaucoup contribué à la recherche car il fallait investiguer le plus vite possible. Sinon nous ne saurions toujours pas comment vacciner, comment intuber, améliorer les gestes et la prise en charge des malades.

Je dirais également que nous avons essayé au mieux d’accueillir les familles, de les accompagner. Je prends l’exemple des professionnels qui ne pouvaient plus exercer, comme les médecins et les chirurgiens, et qui avaient la charge d’appeler les familles pour donner des nouvelles de leurs proches. Bien que ce soit notre devoir, c’était une belle chaîne d’entraide pour pouvoir aider les familles confrontés douloureusement à la maladie ou parfois même à la mort des leurs.

 

Avez-vous un message à faire passer aux donateurs et amis de la Fondation ?

Tout d’abord, je pense qu’il y a des donateurs qui ont été directement touchés de près ou de loin par cette pandémie et ils nous ont accompagnés malgré tout. Nous les en remercions. Notre humanité est touchée, nous découvrons ensemble une nouvelle forme de fragilité de la vie humaine et nous devons œuvrer pour que cette vie soit soutenue et respectée.

Ensuite, nous avons été profondément touchés par le soutien de ceux qui nous sont proches, qui accompagnent l’université et se mobilisent pleinement. Nous avons reçu de l’aide sous toutes ses formes : financière et matérielle ainsi que de nombreux messages d’encouragements. Toutes les manifestations de soutien ont été précieuses et redonnent de la force et de la visibilité à tout ce qui tourne autour des humanités, du sanitaire et du médico-social.

Tout ce qui a été fait nous a vraiment aidés et c’est là, dans le respect des donateurs, et dans la reconnaissance, que notre société ne doit pas oublier le remerciement, la gratitude. Autant de valeurs qui parfois s’éloignent quand on a des rythmes effrénés.

Notre vie a quand même été complètement perturbée par ce « petit » virus qui nous est venu d’ailleurs, qui mute et nous enrage tous les matins. Il nous ramène à notre humanité, à notre fragilité et nous ré-enseigne qu’il n’y a pas que le management ni que les technologies. Il nous réapprend que nous devons prendre soin : prendre soin de notre planète, prendre soin des autres, prendre soin de nous-mêmes, prendre soin de nos liens et ne pas oublier de poursuivre cela. Rien ne devrait plus être comme avant.

                                                                                                                                                                                            Propos recueillis fin avril 2021.

LA DIMENSION SANTE/SOCIAL DE LA CATHO, c’est :

3 hôpitaux (St Philibert à Lomme, St Vincent-de-Paul à Lille Moulins et la clinique Ste Marie à Cambrai), soit près de 1000 lits.

5 EHPAD (Notre Dame de l’Accueil à Lille Faubourg de Roubaix, St François de Sales à Lomme/Humanicité et St Antoine de Padoue à Lille/Porte des Postes, Notre Dame de Boulogne et la Sainte Famille à Marquise), soit 700 résidents.

1 DITEP ( Institut Etienne Leclercq à Croix/Roubaix qui s’occupe de plus de 120 enfants présentant des troubles psychiques et du spectre autistique).

 

La Fondation des Hôpitaux de la Catho est une fondation abritée par la Fondation de la Catho de Lille (reconnue d’utilité  publique en juillet 2012). Elle a pour objet de soutenir l’ensemble des établissements de santé et du médico-social de l’Université catholique de Lille qui sont tous bâtis sur le modèle associatif et ont un devoir d’accueil du grand public.

Optimized by Optimole

03 20 13 40 88